[D-G] sokal bricmont (completing info)

Johnatan Petterson internet.petterson at gmail.com
Fri Aug 11 08:44:41 PDT 2017


Holà again,
just thought send you for free-tax courtoisy, this Libé paper, just for
sake of completing any suppl.need knowledge on the 'sokal bricmont' affair.
reg.









> «Les Impostures intellectuelles», l'ouvrage de Sokal et Bricmont, renforce
> l'idée que les «sciences dures» incarnent la vérité. Est-ce de la physique
> que doit venir le privilège de définir ce qui est culture ou sous-culture?
>
> Avec leur nouveau livre (1), MM. Bricmont et Sokal n'ont pas fini de
> dresser des barrières entre sciences humaines et sciences «dures». Il est
> temps, nous semble-t-il, de rétablir quelques vérités.
>
> On se demandera d'abord pourquoi M. Sokal n'a pas adressé le texte de son
> célèbre canular aux Actes de la recherche en sciences sociales, par
> exemple, s'il voulait ridiculiser les intellectuels français. La raison en
> est simple: l'article de M. Sokal mettait en cause les dérives d'un certain
> milieu intellectuel américain en se servant d'auteurs français qui n'en
> pouvaient mais. A présent, le livre, coécrit avec M. Bricmont, ne vient pas
> des Etats-Unis, comme on a pu le lire, mais de Belgique, où travaille ce
> dernier, physicien par ailleurs connu pour son hostilité à la «sous-culture
> française parisienne» (Post modernism and its problems with science, p. 4).
> Les intentions propres au canular de Sokal, quoi qu'il en ait, ont changé:
> l'ouvrage vise bien cette «sous-culture».
>
> On eût aimé un livre sérieux et se soumettant à la rigueur de l'analyse.
> Au lieu de cela, les auteurs se contentent de citer des extraits d'ouvrages
> et de leur appliquer des jugements comme «ridicule», «risible», «perle
> d'hilarité». Cela relève d'une réaction épidermique qui, se publiant, ne
> laisse aucune ambiguïté sur la motivation des auteurs: la volonté de nuire.
> A cela, les auteurs rétorquent: «Nous ne faisons qu'ouvrir des pistes.»
> Mais qu'y a-t-il dans cette ouverture? L'insinuation. Le doute instillé que
> les «erreurs» scientifiques qu'ils sont capables de relever pourraient
> conduire à discréditer l'ensemble des oeuvres incriminées. Sans faire le
> travail en question, ils franchissent le pas et parlent d'imposture.
>
> Leur démarche renforce l'idée détestable que les sciences «dures»
> incarnent la vérité et ont le droit d'exercer une censure sur les autres
> discours. Il y a dans ce geste un autoritarisme qui fait peur. Pourquoi ne
> pourrait-on déplacer légèrement le sens des termes «relativité» ou
> «intervalle de lumière», sans faire offense aux sciences? Reproche-t-on aux
> physiciens d'appeler «chaos» le comportement de systèmes non linéaires?
>
> Entrons dans le vif du sujet avec quelques exemples où nous surprendrons
> Sokal et Bricmont en flagrant délit de malhonnêteté.
>
> Jacques Derrida a servi de cheval de Troie dans le fameux canular pour
> glisser des absurdités. Sokal a utilisé la réputation et l'oeuvre de
> Derrida pour faire admettre des contresens, puis, révélant les absurdités
> de sa plume, il insinue que l'oeuvre de Derrida est une imposture. On
> perçoit la perversité de la méthode. Le mal est fait: les journaux exhibent
> la photographie de Derrida en louant Sokal pour avoir «déconstruit les
> déconstructeurs». On se demande si le terme de honte ne serait pas
> approprié. L'unique «texte» cité par Sokal est une réponse de quatre lignes
> à une question orale lors d'un colloque. Il ne s'agit pas d'une partie de
> l'oeuvre de Derrida. Sokal, en portant un coup aussi bas, s'est rangé du
> côté de l'imposture qu'il prétend dénoncer.
>
> Poursuivons avec le cas de Paul Virilio. Virilio est un urbaniste qui
> réfléchit depuis longtemps à l'évolution de la société. Il a écrit l'Espace
> critique, livre subventionné par le ministère du Logement. Dans ce livre,
> il essaie de comprendre l'impact des technologies de l'information et de la
> perception de l'espace et du temps sur la société. L'ouvrage est loin
> d'être inintéressant. Le type d'«abus» qu'il commet consiste à dire que
> l'information se propage aujourd'hui instantanément. Cette assertion peut
> heurter un physicien, car elle est physiquement impossible. Seulement
> voilà: Virilio compare la poste d'antan au transport par les techniques
> modernes. En ce sens, oui, on peut dire que l'information se propage
> instantanément, c'est-à-dire en une fraction de seconde, de même que
> l'électron peut se propager «à la vitesse de la lumière». Reprocher à
> Virilio ces comparaisons, c'est méconnaître que le langage peut signifier
> en dehors des acceptions purement scientifiques. Non, le langage n'est pas
> votre propriété, MM. Sokal et Bricmont: le langage, c'est la liberté du
> sens. De même, lorsque Virilio parle d'«effraction des dimensions», il
> évoque la découverte des fractales, y compris dans le transport ou les
> réseaux de communication; c'est un progrès scientifique réel qui bouscule
> la perception de l'espace. Il suffit de lire son texte avec un peu de
> largeur d'esprit. De deux choses l'une, ou bien nos éminents savants ne
> savent pas lire, ou bien ils extraient à dessein des phrases de leur
> contexte dans le but de ridiculiser un auteur à peu de frais.
>
> Pour Bricmont et Sokal, s'il y a chez Virilio des métaphores
> scientifico-urbanistiques (comme l'idée que la ville moderne possède une
> interface avec la banlieue comparable à l'interface en thermodynamique,
> c'est-à-dire faite de choses qui rentrent et sortent comme le décrit la
> physique statistique), elles ne sont compréhensibles que par un physicien,
> donc, c'est une imposture de les livrer à un large public. Est-ce à dire
> finalement que Virilio fait «trop bien»? Quel mépris pour les lecteurs!
>


> S'agissant maintenant de Julia Kristeva, ils déterrent un texte ancien
> (Semiotikè, 1969) et connu des spécialistes, qui n'en ignorent pas les
> aspects datés (intéressants d'ailleurs dans une histoire des idées). Ils
> donnent ainsi l'impression que l'essentiel de l'oeuvre de cet auteur tourne
> autour de formalisations. Cela fait hausser les épaules de toute personne
> bien informée. Faut-il continuer?
>
> M. Bricmont expliquait il y a peu qu'il était capable de vulgariser le
> théorème de Fermat de façon claire, et qu'il ne voyait donc pas pourquoi la
> philosophie devrait être obscure. Voilà donc à quoi devraient se ramener
> les sciences humaines pour lui: à des théorèmes. C'est la pensée unique
> mise en équations.
>
> Pour finir, deux remarques et un avertissement. Tout d'abord, il est
> piquant de constater que cette charge contre les sciences humaines arrive à
> un moment où la physique est mal en point. Crise des moyens, crise de
> l'emploi, crise éthique, crise du sens, explosion des publications: la
> science «dure» se heurte à des difficultés que, depuis la chute du mur de
> Berlin, elle n'a plus les moyens d'éluder, ni peut-être de résoudre. Nous
> assistons au ralentissement des progrès en physique, qui bute sur le
> gigantisme, l'allongement de la durée des expériences et sur des
> difficultés algébriques (gravitation quantique, transitions de phase à
> 3-D") extrêmes. Dans le même temps, la fin de la guerre froide a rendu plus
> critiques les autorités sur le financement des mégaprojets. Simultanément,
> la crise de l'emploi montre que le secteur privé ne voit pas d'intérêt à
> notre formation par la recherche. Pendant ce temps, des physiciens
> inventent des «théories de tout» dont le moins que l'on puisse dire est
> qu'elles n'expliquent pas grand-chose, et des chercheurs déçus par la
> physique viennent aux marges des sciences humaines proposer des théories de
> la conscience basées sur la réduction du paquet d'onde quantique (!). En
> toile de fond, la perte continue de crédibilité et de confiance à l'égard
> des physiciens marque un déclin de cette discipline. Avec tout ça, lorsque
> MM. Sokal et Bricmont parviennent à lever le nez de leur recherche, c'est
> pour démolir quelques textes de sciences humaines aussi divers par leur
> propos que par leur époque et insinuer que les oeuvres plus grandes dans
> lesquelles ils s'inscrivent sont sans valeur. Quelle perte de temps pour
> eux, pour nous et pour tous ceux qui prendront leur bâton de pèlerin pour
> essayer de réparer les dégâts.
>
> La seconde remarque concerne l'argent. Les chercheurs en sciences humaines
> sont écrasés par les sciences dures, au moins sur ce plan-là. Ils n'ont pas
> de bureaux, pas d'ordinateurs, et paient souvent eux-mêmes leurs frais de
> mission. Dans le même temps, MM. Bricmont et Sokal se demandent «s'il est
> encore temps que le contribuable récupère l'argent qui a financé le livre
> de Virilio». On pardonnerait cette bassesse si les laboratoires de sciences
> n'étaient pas, en comparaison, si largement financés par le contribuable.
> On pardonnerait à Sokal et Bricmont leur arrogance, si on n'avait pas sous
> les yeux tant de livres de congrès, de revues médiocres, d'articles et de
> livres insipides ou redondants financés par les grands organismes. On leur
> pardonnerait si on ne voyait pas se construire une station orbitale dont le
> grand public ignore qu'elle n'a pas d'intérêt scientifique. Est-ce de la
> physique que doit venir le privilège de définir ce qui est culture ou
> sous-culture, ce qui est poésie et ce qui est science, ce qui est
> philosophie et ce qui est jargon? Quelle tristesse de voir M. Bricmont
> convaincre des auditoires de scientifiques ou de journalistes qu'ils sont
> au coeur de ce qui bouge en sciences humaines en participant à l'«affaire
> Sokal».
>
> L'avertissement, pour finir, touche à la politique. M. Sokal est habile à
> nous rappeler qu'il a donné des cours au Nicaragua. Cela ne l'autorise pas
> à emprisonner ses détracteurs dans le piège «c'est justement parce que je
> suis de gauche que je m'en prends à ces pseudo-gauchistes qui font du tort
> à la gauche». D'autres que lui, à qui il s'en prend, ont été en prison en
> Tchécoslovaquie, pour la défense de leurs idées, et n'éprouvent pas le
> besoin de l'étaler pour se justifier. M. Sokal constate que l'affaire a
> pris de l'ampleur (?) et se rit des phénomènes qu'elle déclenche. S'il est
> de gauche, Il devrait savoir que, lorsque commence la manipulation des
> esprits, il est temps de cesser de rire.
>
> La publication de ce livre blessant rapportera sans doute de l'argent à
> son éditeur, à ses auteurs et aux journalistes qui se réveillent en criant
> au scoop, alors que l'affaire est enterrée depuis plus d'un an sous une
> indifférence polie. C'est un peu plus de laine, en somme, tondue sur le dos
> des sciences humaines. Que les étudiants et chercheurs en sciences humaines
> ne s'affolent pas. «Time will tell».
>
> (1) Les Impostures intellectuelles, Odile Jacob.
>
> Lire Libération du 30 septembre 1997.
> <http://www.liberation.fr/sciences/1997/09/30/sokal-contre-les-intellos-la-theorie-du-ko_215374>
> Vincent FLEURY chercheur au CNRS, directeur de collection chez Hachette
> Littératures, membre de la Société française de physique. Il a refusé le
> manuscrit de MM. Sokal et Bricmont.
> <http://www.liberation.fr/auteur/4799-vincent-fleury> , Yun Sun LIMET
> chargée de cours à l'université de Paris-VIII, UFR «Texte Imaginaire
> Société».
> <http://www.liberation.fr/auteur/6714-yun-sun-limet>
>


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